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RDC : « Dans le Nord-Kivu, un retour à la paix est encore possible »(Interview du Gouverneur Évariste Kakule Somo sur JEUNE AFRIQUE)

Le gouverneur militaire du Nord-Kivu tente de reconstituer l’administration d’une province amputée d’une partie de son territoire en attendant une solution, qu’il espère diplomatique, au conflit en cours dans l’est du pays.

Le général Évariste Kakule Somo est un homme des Kivus. Il est né à Goma, a grandi à Bukavu, et les Rwandais, explique-t-il, ont toujours été ses voisins.

« Je n’ai pas de problème avec eux. On pouvait aller jouer au Rwanda le matin et rentrer au Congo le soir », raconte-t-il, comme si rien ne séparait les deux pays. Aujourd’hui pourtant, la RDC et le Rwanda sont en guerre et, devenu gouverneur du Nord-Kivu, le haut gradé est aux avant-postes pour défendre la province.

Nommé le 29 janvier, Évariste Kakule Somo fut auparavant commandant en second de la région militaire du Katanga, puis commandant en second du secteur opérationnel du Nord-Équateur. Il a également fondé et dirigé la 31e Brigade d’intervention rapide de Kindu, dans la province du Maniema – elle a été créée dans le cadre de la coopération militaire avec la Belgique et bénéficie du soutien financier de l’Union européenne.

Sa mission consiste désormais à réorganiser l’administration du Nord-Kivu. Il s’en acquitte depuis Beni et non depuis Goma, la capitale provinciale tombée fin janvier aux mains des rebelles du M23 et de leurs alliés rwandais. C’est dans cet assaut que fut tué son prédécesseur, Peter Cirimwami. Jeune Afrique l’a rencontré mi-juin lors de la conférence des gouverneurs à Kolwezi.

Jeune Afrique : En quelques jours, vous avez connu la chute de Goma et la mort de votre prédécesseur. Comment avez-vous vécu ces événements ?

Évariste Kakule Somo : J’ai beaucoup de regrets. On a reçu un grand coup sur la tête, cela n’a pas été facile. J’étais impliqué dans les mêmes opérations mais sur le front nord, je n’étais pas à Goma. Aujourd’hui, nous nous efforçons de stopper la menace, de renforcer la confiance nationale et le patriotisme, et de nous inscrire dans une dynamique de paix, parce que c’est encore possible. Nous ne faisons pas la guerre pour la guerre. Au Nord-Kivu, compte tenu des souffrances qu’endure notre population, nous pensons qu’il faut être réaliste.

Jeune Afrique : Être réaliste, c’est se replier ?

Évariste Somo Kakule : Nous ne sommes pas dans une position de repli mais de temps mort. Le temps s’est un peu arrêté. Ce n’est pas seulement notre guerre, c’est une guerre planétaire. Beaucoup de forces sont déployées sur le terrain, y compris celle des Nations unies et d’autres pays d’Afrique, en tant que partenaires ou agresseurs. Il y a beaucoup d’enjeux, d’acteurs et d’intérêts croisés. Tout cela mis ensemble a conduit à ce que les choses s’arrêtent momentanément. Si ça contribue à trouver une solution, pourquoi pas, mais il ne s’agit pas d’un repli.

Jeune Afrique : Est-ce qu’une contre-attaque a été envisagée ?

Évariste Somo Kakule : Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de parler de contre-attaque maintenant. Nous sommes en juin et un accord majeur est en passe d’être signé [sous l’égide des États-Unis].

Jeune Afrique : À quelles menaces faites-vous face depuis Beni ?

Évariste Somo Kakule : Nous avons trois types de menaces armées. La plus importante étant celle que pose le Rwanda, qui a joint ses forces à celles des rebelles de l’AFC/M23. Mais il y a aussi les terroristes des ADF [Forces démocratiques alliées, affiliées à l’État islamique], contre lesquels nous luttons depuis quatre ans avec l’armée ougandaise dans le cadre de l’opération Shujaa. Enfin, il y a des groupes armés réfractaires au processus de démobilisation, qui servent de béquille à l’ennemi pour diversifier ses moyens d’action sur le terrain et déstabiliser nos forces sur les arrières.

Jeune Afrique : Voulez-vous dire que ces groupes armés seraient liés au Rwanda ?

Évariste Somo Kakule : Nous pensons que développer des relations solides entre la RDC et l’Ouganda, c’est davantage un facteur de puissance que de faiblesse.
Nous connaissons les tactiques de l’ennemi : agir par procuration et par opportunisme. Ils nous accusent de manipuler certains groupes comme les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda, groupe fondé par d’anciens génocidaires rwandais], mais c’est un prétexte. Ce sont eux, les Rwandais, qui contrôlent certains groupes congolais.

Jeune Afrique : Quel est vraiment le rôle de l’armée ougandaise en RDC ?

Évariste Somo Kakule : L’armée ougandaise est venue en RDC sur invitation. Je ne suis pas dans le secret des dieux et je ne connais pas les agendas cachés. Personnellement, je n’ai rien à reprocher à cette armée. Avec elle, nous sommes en train de réduire sensiblement la capacité de nuisance des ADF dans le Nord-Kivu et en Ituri.

J.A : Est-il vrai que les Ougandais contrôlent des axes routiers en RDC ?

ESK : Non, je ne pense pas. Je n’ai jamais vu des troupes ougandaises tenir des barrières. Une certaine propagande aimerait qu’ils soient considérés comme des occupants, mais cela fait partie de la guerre. Nous pensons que développer des relations solides entre la RDC et l’Ouganda, c’est davantage un facteur de puissance que de faiblesse. On ne peut pas avoir que des ennemis !

J.A : Quand le général Muhoozi Kainerugaba, chef de l’armée ougandaise et fils du président Museveni, écrit sur les réseaux sociaux qu’il peut envahir Kisangani, quelle est votre réaction ?

ESK : Je préfère m’intéresser à ses tweets plus récents, dans lesquels il a affirmé qu’il viendrait à Kinshasa voir son grand frère, notre patron [le président Félix Tshisekedi, qui l’a effectivement reçu le 21 juin] et qu’il ne laissera jamais Joseph Kabila revenir au pouvoir au Congo. C’est un grand chef militaire, il a accès à beaucoup d’informations et il sait de quoi il parle. Il y a eu une période où il y a eu des échanges verbaux [une référence aux tweets controversés du général Muhoozi Kainerugaba], mais aujourd’hui les choses semblent rentrer dans l’ordre.

J.A : Comment réagissez-vous au retour de l’ancien président Joseph Kabila en territoire occupé ?

ESK : Cela me fait réfléchir. C’était un grand chef militaire, un président de la République qui est resté au pouvoir pendant de nombreuses années et qui, à l’issue d’élections organisées sous son régime, a passé le flambeau. Il est aujourd’hui en zone ennemie, sans mandat de l’État alors qu’il est sénateur de la République, et c’est normal que cela puisse faire jaser. J’espère pour lui qu’il est là-bas pour une bonne raison. Si moi, je me trouvais dans la même zone, on me qualifierait de traître.

J.A : Vous vous êtes rendu à Walikale en mars, une ville du Nord-Kivu pour laquelle les belligérants se sont affrontés. Qu’avez-vous vu ?

ESK : C’est une contrée assez enclavée, avec une très forte densité de déplacés de guerre venant de Goma, de Masisi et d’ailleurs. Une zone sinistrée, où le système de santé est complètement désarticulé et incapable de venir en aide à une population affamée. J’ai été outré de voir que le M23 considérait Walikale comme une zone militaire attaquable et je remercie tous ceux qui ont travaillé pour que la situation redevienne normale.

Les partenaires qui nous regardent de loin pensent que le Nord-Kivu n’existe plus depuis que l’aéroport de Goma est tombé. Mais nous sommes toujours-là !
Aujourd’hui, à Walikale, la situation est très calme, il n’y a pas de combats et les rebelles sont sortis de la ville. Mais dans les alentours, il y a encore des affrontements entre les braves wazalando, qui sont des autochtones opposés à la conquête de leurs collines, et le M23. J’aurais aimé qu’un accord de cessez-le-feu soit aussi trouvé. Les yeux de la République et du gouvernement doivent aussi être tournés vers Walikale.

J.A : Vous travaillez à recréer à Beni l’administration d’une province amputée. Y parvenez-vous ?

ESK : Nous sommes la province la plus sinistrée du Congo. Nos enfants sont en train de mourir là-bas : nous y avons 64 % de taux de malnutrition infantile. Les gens ne peuvent plus cultiver, ils sont venus chercher refuge dans des camps de fortune dans des villes où des bulles sécuritaires sont établies. Ils ont fui la violence de ces gens qui s’amusent à tuer et à massacrer cette population, mais ils ne peuvent plus travailler ni nourrir leur famille.

Les partenaires qui nous regardent de loin pensent que la province n’existe plus depuis que l’aéroport de Goma est tombé. Mais nous sommes toujours-là ! C’est pour cela que nous aménageons et agrandissons l’aérodrome de Beni-Mavivi : il faut que l’aide humanitaire arrive jusqu’à nous. Nous sommes aussi en discussion avec le gouvernement pour avoir un accompagnement sérieux, j’ai reçu des promesses en ce sens.

J.A : Si les combats venaient à reprendre, est-ce que vous redoutez une percée des rebelles vers Kisangani ?

ESK : Peut-être qu’ils en rêvent, mais c’est très loin et ce ne serait pas une promenade de santé. Les gens de Kisangani peuvent dormir calmement.

Je voudrais par ailleurs insister sur les efforts menés par le chef de l’État et par les amis du Congo pour qu’on puisse arriver à une solution. Cela contribue fortement à la stabilisation de ce que vous appelez la ligne de front. De nombreux acteurs sont désormais impliqués : il y a donc l’armée ougandaise présente à Lubero, mais aussi plusieurs processus de médiation, comme l’initiative américaine ou celle de Doha… Nous sommes accompagnés par la communauté internationale, et je pense que les Rwandais vont se retirer de notre territoire et rentrer chez eux.

la rédaction

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